Installer durablement la pédagogie de projet à l’Université

La pédagogie de projet fait partie des pédagogies actives en petits groupes. Elle a pour objectif de rendre l’étudiant actif de son apprentissage afin qu’il acquière des compétences « en faisant » et non plus seulement « en écoutant » (learning by doing, John Dewey 1929). Ainsi, durant une période plus ou moins longue, les étudiants organisés en équipes, travaillent à réaliser un projet, guidés par un enseignant-chercheur. Dans cette pédagogie non seulement l’activité d’enseignement proposée change mais aussi sa durée, les relations entre étudiants et entre étudiants et enseignant, le lieu d’enseignement et le type d’évaluation.

Les projets proposés peuvent appartenir à tout domaine académique et prendre différentes formes. Par exemple il peut être demandé aux étudiants de réaliser une communication affichée (poster) sur un sujet donné, réviser (reviewer) un article de recherche, écrire un projet de recherche à partir de résultats publiés par un laboratoire, répondre à une question de science en réalisant des expériences, présenter une étude de cas et la discuter, réaliser un geste professionnel comme préparer un repas (hôtellerie) ou faire un soin (infirmier), lever un verrou technologique, organiser un débat contradictoire et en devenir les débatteurs et l’animateur, assurer un rôle d’expert, organiser un procès et en devenir les différents protagonistes, organiser un séminaire d’une journée et en assurer les présentations orales, organiser une conférence de citoyens et rédiger l’ensemble des préconisations… Il n’y a pas de limite théorique à cette modalité d’apprentissage.

Le déroulé de cet enseignement est en général organisé de la façon suivante : Dans une première séance, l’enseignant-chercheur présente aux étudiants le projet proposé et répond à leurs questions. Ce moment d’échange est important pour que les étudiants adhèrent au projet, comprennent le rôle actif qui leur est demandé, ainsi que le changement de place de l’enseignant qui devient un guide des étudiants dans leurs recherches et questionnements. Lorsque tout est clair, les équipes sont formées (par exemple par tirage au sort) et il leur est proposé de petites activités pour faire connaissance. Dans les séances suivantes, qui ont lieu dans un espace dédié, organisé comme un laboratoire de recherche, les étudiants organisent leur équipe, se répartissent le travail, se documentent, posent leurs questions à l’enseignant ou à un expert extérieur. L’enseignant privilégie dans ses apports et réponses aux demandes des étudiants une orientation vers des articles ou livres de chercheurs. A chaque étape, l’enseignant fait des retours notamment pour éviter que l’équipe ne s’engage dans une mauvaise voie. Les résultats font l’objet de discussions argumentées au fur et à mesure de leur obtention et une autoévaluation peut être proposée pour une meilleure compréhension par l’équipe de son avancement. Puis il y a toujours un moment où les étudiants présentent et expliquent leur travail à leurs pairs. A la fin du projet, le rendu est évalué soit individuellement soit collectivement.

Il est légitime de se demander ce qu’apporte la pédagogie de projet par rapport à un cours magistral de qualité, basé sur des questionnements, des hypothèses et l’exposé du cheminement intellectuel des chercheurs qui a conduit aux résultats énoncés. La pédagogie de projet a la particularité de favoriser l’acquisition d’un certain nombre de savoirs être et de savoirs faire comme la motivation et la concentration des étudiants, le travail en équipe, la recherche de sources documentaires fiables, le questionnement, le doute, et la valorisation des erreurs. Elle développe l’autonomie tout en créant des liens de confiance avec le ou les enseignants.

Mais permet-elle aux étudiants, en particulier les plus fragiles, d’acquérir à la fois des nouveaux savoirs et savoirs faire, des capacités d’analyse, de critique et de synthèse ? Toutes les études basées sur la comparaison entre un groupe expérimental et un groupe témoin et réalisées sur un très grand nombre d’élèves, ont montré que dans leur grande majorité les élèves apprennent mieux dans des apprentissages fortement guidés plutôt que dans des contextes de découverte où ils sont peu encadrés (Hattie, 2009). L’une des explications est la faible performance de la mémoire de travail. Un élève, et en particulier s’il est peu entrainé, ne saura effectuer cette double tâche qui consiste à la fois à résoudre un problème et à apprendre de nouveaux savoirs pour les retenir sur le long terme. Ainsi, pour que la pédagogie de projet soit bénéfique à tous, il est important que les apprenants aient précédemment construit, par un enseignement explicite et guidé, de très solides schémas de connaissances qui permettent de faire face aux problèmes sans qu’il y ait surcharge cognitive. Il faut donc inscrire toute pédagogie de projet dans un domaine où les savoirs ont déjà été confortés, et la réaliser avec un encadrement resserré permettant un guidage attentionné.

Les freins à la présence de la pédagogie de projet dans l’enseignement universitaire en France sont multiples : Les enseignants-chercheurs lorsqu’ils sont nommés, sont formés pendant leur année de stage mais l’encadrement et le contenu de cette formation variant d’une Université à l’autre, les pédagogies actives en petits groupes ou même en grands groupes peuvent ne pas faire partie du programme ; Les étudiants sont trop nombreux pour le nombre d’enseignants-chercheurs qui peuvent les encadrer, et ceci même pendant les temps de travaux dirigés (TD) ou pratiques (TP) ; Il n’y a pas de temps imparti dans les licences et maitrises pour un tel enseignement ; Les lieux d’enseignement ne sont pas compatibles avec le travail en équipe ; Le temps et l’effort de préparation sont trop importants et les enseignants-chercheurs redoutent que cela empiète sur le temps et l’énergie qu’ils veulent consacrer à la recherche ; Le regard du responsable des enseignements universitaires ou celui des étudiants peut être dépréciateur, avec l’idée que les étudiants s’amusent et les enseignants ne font plus rien.

Des solutions existent mais ces obstacles demandent une volonté politique forte pour être surmontés. Les enseignants-chercheurs peuvent se former auprès des quelques collègues qui pratiquent déjà la pédagogie de projet et/ou en suivant des cours gratuits en ligne. Ils apprendront alors comment monter un projet, comment pratiquer les évaluations « formatives » qui permettent aux étudiants d’apprendre de leurs erreurs. Par ailleurs, la création d’un forum national d’échanges de bonnes pratiques serait une vraie aide. L’avancement des enseignants-chercheurs devra prendre en compte leur investissement en qualité d’enseignement en plus de leur activité de recherche, jusque-là seule variable évaluée. La difficulté liée au nombre d’étudiants pourra être surmontée si l’enseignant-chercheur se fait seconder par des « tuteurs », c’est-à-dire des étudiants d’années supérieures, qui à cette occasion se formeront à la pédagogie de projet ; Les espaces d’enseignement peuvent devenir modulables et connectés afin de permettre aux étudiants de travailler en équipe et d’effectuer leurs recherches. Le vrai problème restera financier surtout en ce qui concerne les sciences expérimentales qui nécessitent des plateformes techniques, aussi appelées laboratoires ouverts, équipées comme de véritables laboratoires de recherche et supervisées par un ingénieur.

En conclusion, si la pédagogie de projet occupait environ 20 à 30% du temps d’enseignement et les cours magistraux et exercices en travaux dirigés les 70-80% restants, ce serait une avancée considérable. En effet, il ne s’agit pas de supprimer les enseignements magistraux qui présentent de nombreux avantages pédagogiques. Installer durablement la pédagogie de projet à l’université, c’est apporter du vivant, du rythme pour capter l’attention, c’est permettre aux étudiants d’acquérir une connaissance approfondie et durable du contenu des enseignements, ainsi que des compétences en matière de réflexion critique, de collaboration, de créativité et de communication. Mais c’est aussi préparer les étudiants à relever les défis du monde réel.

FabLab Pédagogies Actives : Constance HAMMOND, Hervé ISAR, Jacques BARATTI, Laurent GRELOT, Souad ABDELLI et Youcef DALI

Photo Tous Chercheurs

Références

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Conférence TEDx : https://www.youtube.com/watch?v=F52fwzGSRRc

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